Faisons simple : j’ai imprimé 30 exemplaires des textes publiés cette année, et je les échange.
Contactez-moi pour en avoir un, sur twitter Ă @nicomo. Mes DM sont ouverts.
Chaque nouvelle est imprimée sur papier offset 110g, en A4 sur deux colonnes, et glissée dans une pochette individuelle en cristalline, ce papier translucide utilisé par les collectionneurs de timbres. L’ensemble des douze pochettes est placé dans une boîte cartonnée et le titre général appliqué avec un tampon fait sur mesure. Le page de titre de chaque nouvelle présente l’illustration de Stéphanie Bouvier à part : vous pouvez, si vous le souhaitez, prélever l’une ou l’autre pour l’encadrer et ne garder dans la boîte que les textes.
C’est, en tout cas, un bel objet.
Mon année professionnelle et familiale ayant été particulièrement chargée, je n’ai par contre pas eu le temps de m’occuper de la mécanique de vente de ces textes. Je pensais initialement commercialiser ces 30 exemplaires signés et dédicacés pour environ 30€ pièce, histoire de rentrer dans mes frais. Mais il faut pour ça une structure, un SIRET, gérer de la TVA, etc. : au fond, je n’ai pas eu très envie de m’en occuper. Je vous propose une autre solution : troquons. Vous me donnez une adresse postale, je vous envoie le coffret avec ma propre adresse glissée dans le colis et, en retour, vous m’envoyez ce que vous voulez. Quelque chose qui vaut 30€. Quelque chose qui ne vaut rien mais auquel vous tenez. Quelque chose.
Cette démarche de troc me convient pour l’instant et une lecture récente m’a permis d’expliciter pourquoi.
Le mois dernier, la maison d’édition publie.net a publié un joli billet sur leur métamorphose après la disparition de Philippe Aigrain. Ils évoquent les évolutions du projet, qui a eu une première vie de 2008 à 2014, porté alors par François Bon, puis une seconde vie de 2014 à 2021. Le projet s’apprête à entrer dans une troisième phase et l’équipe publie.net revient avec beaucoup de lucidité sur la période qui s’achève.
Nous avons ces dernières années joué le jeu de la chaîne du livre pour que vivent nos nouveautés en librairie, pour permettre le placement de nos titres sur les tables, pour que chaque maillon s’y retrouve. On a régulièrement renvoyé vers les librairies indépendantes. On y a organisé des rencontres. On a mis en place des tournées. On s’est aventuré en-dehors de l’impression à la demande. On a fait beaucoup de pas en direction du système, quitte à parfois y perdre des plumes. J’avais été de la première incarnation du projet puisque certaines des nouvelles que vous avez lu cette année avaient déjà été publiées, en ligne uniquement, par François Bon en 2011-2012. J’avais choisi de ne pas suivre le nouveau projet, en partie parce que je percevais qu’il consistait justement à jouer un peu plus “le jeu de la chaîne du livre”, et récupéré mes textes à ce moment-là , même si j’étais curieux de voir ce que l’équipe ferait.
Ce projet-ci, https://nicomo.io, est volontairement et entièrement en dehors de la chaîne du livre. J’ai toujours considéré que le terme lui-même, chaîne du livre, était utilisé par les éditeurs-diffuseurs, du moins les plus puissants d’entre eux, pour masquer leur domination sur les autres acteurs : auteurs, librairies, bibliothèques, etc. L’image elle-même d’une chaîne du livre est au fond assez parlante et sa transparence m’a toujours étonné : on ne se cache pas de nous enchaîner dans un système économique qui fonctionne au profit de quelques acteurs.
Je ne suis pas pour autant naïvement contre le marché, ceux qui me connaissent le savent : dans une autre vie, j’ai participé à la création d’une SARL et j’ai toujours considéré que le capitalisme représentant, quoi qu’on en pense par ailleurs, le monde tel qu’il est, c’était un signe d’impotence de prétendre le rejeter entièrement. Mais n’importe quel système a toujours, dans l’emboitement des engrenages qui le composent, un peu de jeu, une usure des dentures, une courroie un peu lâche : on peut souvent, en forçant un peu, se glisser dans cet interstice et tenter des expériences. Court-circuiter ici, ponctuellement, la transaction monétaire c’est donc à la fois affirmer pour l’auteur son autonomie et son inventivité, et admettre sa misère en tant qu’acteur économique aujourd’hui : le troc est un système qui fleurissait dans les îles Trobiand, certes, mais aussi en URSS sur fonds de pénuries de biens de consommation.
On peut tout faire ou presque, aujourd’hui, avec un ordinateur portable sur sa table de cuisine : écrire, faire une maquette de qualité professionnelle, commander en ligne une impression de grande qualité qui arrive dans un carton tout emballé, pour des tirages infimes, mettre en ligne une version web, faire un epub pour vos liseuses, etc. Tout faire, sauf mettre son livre en librairie. D’une certaine et ironique façon la librairie est, en partie du fait de la pesanteur de sa gestion physique, pré-numérique, le dernier rempart du système du livre.
Pour ma part, pour cette fois, donc, faisons simple : je vous envoie un cadeaux de fin d’année, vous m’en envoyez un. Il suffit que vous me donniez votre adresse.
🍹 Chimie [rhum]
Je parle souvent d’histoire et de goût, mais le rhum est aussi une science. Parlons donc technique.
Avant d’être distillé, le sucre (mélasse ou jus de canne - vesou) est mélangé d’eau et mis à fermenter : les levures le consomment pour produire de l’alcool, de la chaleur et du dioxide de carbonne, et pour déclencher une réaction chimique dont résultent des molècules comme les esters, qui donnent goûts et odeurs à la boisson. Toutes ces molécules autres que l’alcool sont regroupées sous le terme de congénères. Par exemple l’acétate de propyle donne une odeur de poire, l’acétate de butyle une odeur de banane, etc. Le choix des types de levure, la durée de la fermentation, la température influent énormément sur les goûts et les odeurs présents dans la “bière” (beer ou wash en anglais) à 5% à 10% d’alcool qui sort du processus de fermentation. C’est une étape essentielle puisque la distillation n’ajoute aucune odeur ni aucune saveur à l’alcool : elle sépare les différentes odeurs les unes des autres, et permet donc d’en sélectionner certaines, mais elle n’ajoute rien. Les goûts et les odeurs d’un rhum viennent donc ou bien d’après la distillation, si on ajoute des produits à l’alcool, ou d’avant, de la fermentation, qui est donc cruciale à l’identité d’un rhum. La distillerie Neisson en Martinique, par exemple, a travaillé à isoler, sélectionner et cultiver une levure présente sur les cannes à sucre de ses parcelles, qu’elle utilise pour marquer de son empreinte le processus de fermentation.
Le principe de la distillation est simple : l’alcool s’évapore à 78,3°C, l’eau à 100°C. Si vous faites chauffer le wash entre ces deux températures, l’alcool va s’évaporer, et l’eau rester liquide. Vous pouvez récupérer la vapeur d’alcool dans un tuyau, raffraîchir ce tuyau en dessous de 78,3°C pour retrouver un liquide. Mais le diable est dans les détails : tous les alcools et tous les congénères ne s’évaporent pas exactement à la même température. En général, on élimine ceux qui s’évaporent les premiers, qui peuvent être toxiques : c’est la “tête”. Le “coeur”, ce sont les congénères et l’alcool qui suivent. Et le distilleur décide à quel moment il s’arrête à mesure que la température monte et qu’il récupère dans son alcool distillé des composés avec plus d’odeurs, de saveurs, etc. : c’est la “queue”. Une fois fini votre lot, vous nettoyez votre alembic et vous recommencez.
Ce que je décris ici, c’est la technique du pot still, très utilisée dans la Jamaïque, à la Barbade, etc. qui donne des rhums très forts en goûts et en odeurs. Et c’est beau.
Mais depuis le milieu du 19e siècle, il existe une autre technique, très largement majoritaire aujourd’hui : la colonne de distillation continue. Elle est utilisée pour distiller des whiskies, des rhums, du gin, de la vodka, etc. Moins beau, mais beaucoup plus souple et précis.
La colonne est un espace clos et contrôlé où règne un équilibre entre liquide et vapeur. Le wash est introduit à mis hauteur de la colonne, où il tombe. Au moment où il rencontre une vapeur chaude qui monte du bas de la colonne, le wash se vaporise : l’alcool remonte. La colonne est séparée en sections faites de différentes plaques performées : l’alcool monte progressivement en passant par les trous, tandis que les liquides qui ne se sont pas encore évaporés condensent sur la plaque et retombent. A mesure qu’il monte l’alcool est plus fort, mais s’éloigne progressivement de la source de chaleur, se refroidit, condense et retombe sous forme liquide. C’est un circuit fermé mais, au niveau de chaque plaque, une valve permet de “collecter” l’alcool qui se trouve à ce niveau. Au lieu, comme dans un pot still de choisir chronologiquement d’abord le coeur puis la queue de son alcool, le distilleur peut ici sélectionner en même temps des éléments de tête, de coeur et de queue en ouvrant des vannes à diverses hauteurs de la colonne.
Si vous faites de la vodka, vous prenez uniquement ce qui est tout en haut de la colonne, le plus fort en alcool et qui n’a plus de goût ni d’odeurs. Si vous faites du rhum, vous sélectionnez le mélange qui vous intéresse en ouvrant différentes valves à différents niveaux.
C’est compliqué? C’est compliqué. Je vous mets un lien vers une vidéo YouTube qui explique bien le processus.
Louis Pasteur, chimiste qui étudiait les cristaux, s’est tourné dans les années 1850 vers l’étude de la fermentation quand, travaillant à la faculté des sciences de Lille, il est sollicité par des distilleurs locaux qui s’inquiètent de la qualité de leur alcool de betterave (🤢). Tous ses travaux sur l’aérobie, la fermentation etc. lui servent à établir les bases de la micro-biologie qui lui serviront ensuite à travailler, à partir de 1877, sur les maladies infectieuses.
Karine Lassalle, Maîtresse de Chais à la distillerie martiniquaise J.M., a une formation de chimiste, comme Joy Spence, son homologue d’Appleton Estate et bien d’autres maîtres de chais aujourd’hui.
Pensez-y quand vous dégusterez un rhum : vous avez en bouche l’histoire d’un terroir, d’une région, le résultat d’un processus naturel… et vous héritez d’une longue histoire des sciences. Buvez du rhum à la gloire des chimistes.
“A Pasteur! Tchin.”
🗑️ Pages de vieux journal
5 décembre 1995. Aujourd’hui, première neige de la saison. Je sens le froid comme une feuille appliquée sur mon visage alors que je marche dans Paris, longtemps et vite. Sentir son corps comme un cocon, qui se déplace et couvre un espace réel.
9 décembre 1995. Vous vous trompez, Don Giovanni n’est pas cynique : il aime, à chaque fois, d’être aimé. Mais dès que cet amour lui a été donné sans réserves, son amour-propre perd tout objet et il n’a d’autre choix que de poursuivre sa quête et d’aller plus loin poser sa question : m’aimez-vous ? Il s’offre à cette question, il se met dans la position périlleuse de celui auquel on peut répondre non. Il mérite donc qu’on réponde oui. C’est un don.
C’est ce que John Berger rend merveilleusement dans son roman G. : Giovanni ne séduit pas à proprement parler ni ne “prend” les femmes qu’il rencontre. Au contraire il se présente à elles dans une neutralité, un dénuement absolus, comme un objet, un outil vis-à -vis duquel la liberté féminine est entière : elles peuvent le prendre ou le rejeter, lui donner ou lui refuser ce qu’elles veulent en sachant qu’elles ne seront ni jugées ni abusées.
C’est parce qu’il ne demande rien que Giovanni obtient tout : il s’offre comme potentialité et les femmes qui le veulent viennent en lui se verser.
17 décembre 1995. J’ai lu, il y a quelques jours, l’interview donnée par Khaled Khelkal à un sociologue allemand près de deux ans avant les événements qui l’on fait connaître, et qu’a publié Le Monde. Très frappé par le fait que son exclusion sociale est antérieure à tout problème de recherche d’emploi, qu’elle se joue par rapport à l’institution scolaire, dans le passage du collège au lycée (d’où, en passant, cette question : pourquoi deux institutions ?). Exclusion qui semble liée à une tension croissante, et rapidement insupportable, entre ses goûts et ses capacités d’une part, et les besoins que la société croit avoir et qu’elle impose à Khelkal d’autre part. Le garçon a d’assez bons résultats scolaires, des capacités, et semble passionné de chimie. Quand il se présente à l’A.N.P.E., il s’entend dire : « On n’a rien en chimie pour l’instant, faites un stage d’électronique ». Mais l’électronique n’est pas la chimie : Khelkal ne s’intéresse pas à ce qu’on lui demande, ne va pas à bout du stage d’électronique, et refuse les suivants. C’est fini.
22 décembre 1995. « La poésie n’est pas un acte social. C’est un jardin secret qui fait partie de ma vie privée. […] J’en écris beaucoup et je laisse refroidir. Je peux y retravailler des années plus tard. Quand je serais très vieux, j’en publierais peut-être. » (Gao Xingjian)
28 décembre 1995. Il semble qu’il arrive, pour Wittgenstein, un point où le sens s’atomise, où on ne peut plus rien dire (ajouter), mais seulement montrer ce sens indicible. La poésie, telle que je la conçois, pourrait servir à cela : elle ne dit rien, elle montre. Et si ce qu’on veut signifier peut l’être, de façon plus adéquate, par un autre biais que l’art, l’essai par exemple, alors selon un principe d’économie des hypothèses, la poésie doit s’effacer.
La poésie est dans les jointures intimes où n’atteignent ni le roman ni l’essai, ni aucune autre forme d’expression.
Dec. 29th, 1995. The political art of the greek tragedy is to re-present, to replay the ceaselessly renewed construction of the polis in front of the gathered citizens: the polis it shows is a basin, where the reasonable institutionalisation and the tragic affects of man melt into one “founding disorder”. It stages the tension between our togetherness and the political stasis. What I find particularly interesting is that we, today, seem to forget that democracy, like tragedy, is all about confrontation, not about finding a consensus. Democracy is a playing field we agreed would replace our wars, not our fights.
đź”– Favoris
Cette nouvelle rubrique remplace les listes de livres lus et de livres à lire, les listes d’albums écoutés, etc. Elle les remplace et les contient : internet représente, de fait, une large part de ma consommation culturelle et sur internet, non seulement personne ne sait que vous êtes un chien, mais tout est une liste.
- Henry Homesweet. 12 minutes de DJ Live avec 2 gameboys et le logiciel de synth Nanoloop. https://www.youtube.com/watch?v=-9S0rlOj3tE
- Craig Mod. Matsubara Beach, Tsuruga (Nothing Exciting Series). Camera fixe, enregistrement d’ambiances sonores, un sujet qui m’intéresse en ce moment : j’essaie de remplacer la photographie (d’un voyage, d’un lieu, d’une personne, etc) par un son. https://www.youtube.com/watch?v=qNvP36gjflU
- Signac Collectionneur. Exposition au Musée d’Orsay. Je me rends régulièrement à ce musée, le seul que je continue de fréquenter depuis deux ans. Mon regard sur le 19e a changé à mesure que je vieillissais. A vingt ans, je le considérais comme un siècle positiviste, matérialiste, étroit. A cinquante ans passés je le considère aujourd’hui comme un siècle de changements dramatiques, d’exploration, de recherche et d’aventures intellectuelles qui se frottent à la réalité du monde. https://www.musee-orsay.fr/fr/articles/questions-marina-ferretti-bocquillon-et-charlotte-hellman-commissaires-de-lexposition-signac-collectionneur-200245
- Elvis 30 #1 hits. https://open.spotify.com/album/0QVoYzGd1p8Z3ohEaM0lsc?si=TYXw58hhTvWwmx3zAdcpng
- Le compte twitter @MarsCuriosity, compte du rover de la NASA installé sur Mars depuis 2012
- Alec Soth. On saying yes (to Jacob Holdt). Alec Soth est photographe de l’agence Magnum. Ses vidéos YouTube sont des merveilles d’intelligence, des réflexions originales sur la photographie et la création en général. https://youtu.be/MzC4c72P1ro