James Madison lui-même ne s’est pas appesanti outre mesure sur le besoin d’adopter ce premier amendement, mais étant donné le rôle individuel qu’il a joué dans son adoption, il est important d’essayer de cerner ses motivations.
Son discours introductif du 8 juin 1789 n’est pas très disert sur le sujet. Il se contente de remarquer que « la liberté de la presse et le droit de conscience, ces insignes privilèges du peuple, ne sont pas garantis dans la constitution britannique. » Que certes on est dans une République et que d’aucuns pourraient penser que ces garanties, le régime étant pour ainsi dire intrinsèquement bon, ne sont pas nécessaires, mais ça ne fait pas de mal :
« une fois que des bill of rights auront été adoptés dans tous les états et dans la constitution fédérale, on se rendra compte que si certains ne sont pas très importants, pourtant dans l’ensemble ils représentent une tendance salutaire. (…) On pourrait dire que dans certains cas ils ne font rien de plus que de réaffirmer l’égalité parfaite des hommes. »
Bref, c’est utile, pas indispensable, et surtout : c’est évident. Ça l’est surtout probablement parce que ça découle, pour Madison, d’une vision globale de la société. C’est une conséquence naturelle du cadre de pensée dans lequel il travaille, et dont la structure générale est, en très grande partie probablement, héritée des Lumières écossaises. James Madison a été d’abord éduqué à domicile par Donald Robertson, un éducateur écossais, avant de s’enrôler au College of New Jersey (aujourd’hui Princeton), alors dirigé par John Witherspoon, ministre presbytérien lui aussi Écossais, qui fonda la bibliothèque de Princeton avec une collection rapportée d’Écosse et dont l’enseignement accordait une importance particulière à la philosophie morale et politique.
Dans cette tradition (David Hume, Adam Smith et John Millar en particulier), l’évolution de la société amène à un mouvement de la cueillette à l’agriculture, à l’industrie et au commerce. Les choses progressent dans le temps long, on est dans une perspective évolutionniste, pas révolutionnaire ; et des régressions sont toujours possibles. Aux États-Unis, où la taille du pays et les ressources disponibles sont si importantes, un Hamilton, par exemple, se place plutôt dans une logique de passage de l’état de nature à une société organisée du fait d’un contrat social. Madison ne partage pas cette idée : les États-Unis ont beau être un pays neuf, la nature humaine ne l’est pas et il y a, d’une certaine façon, toujours-déjà du social dans l’organisation de la vie humaine. Et dans la même logique, si Adams et Jefferson ont tendance à lire les conflits politiques comme une lutte de deux parties, l’aristocratie et le peuple, quel que soit le nom qu’on donne à ces factions, Madison propose une tapisserie beaucoup plus riche d’intérêts concurrents. Comme David Hume dans son Of Parties in General, qui parle de groupes d’intérêts multiples et croisés, sur la base de relations personnelles, d’intérêts économiques et de principes abstraits, comme la religion, Madison parle des factions avec nuance. Dans Federalist #10, Madison défend l’idée qu’il ne faut pas chercher à réduire ces factions : « la variété des parties que comprend l’Union accroît la sécurité » de la République. Autrement dit : c’est le libre jeu des partis et des factions, leur nombre et leur variété, qui garantissent la liberté au sein du système politique, et il n’est pas utile ni souhaitable de chercher à en limiter le nombre, au contraire.
Je pense qu’il faut lire le 1er amendement dans le cadre de cette philosophie personnelle de James Madison : il ne faut pas chercher à limiter la liberté de la presse, même s’il en résulte des conflits importants au sein de la société ; au contraire, le conflit des opinions et leur libre concurrence prémunissent contre le plus grand danger qui représenterait la capacité d’un parti, d’une faction, de s’imposer aux dépens de tous les autres.
A lire sur le sujet : Branson, Roy. « James Madison and the Scottish Enlightenment. » Journal of the History of Ideas, vol. 40, no. 2, 1979, pp. 235–250. JSTOR, www.jstor.org/stable/2709150 Ce billet fait parti d’une série sur le 1er amendement de la constitution des États-Unis :