Je produis parfois de la littĂ©rature, comme d’autres du mobilier ou de la musique. Je le fais lentement (je n’ai pas que ça Ă faire, je ne suis pas rentier), mais j’essaie de le faire le plus complètement possible, idĂ©alement du texte aux illustrations, Ă la typographie, Ă l’objet-livre lui-mĂŞme.
Par la fenĂŞtre noire est un recueil de 52 poèmes, pour lequel j’ai essayĂ© d’ĂŞtre le plus DIY qui soit, produisant textes, images, maquette, gĂ©rant l’impression, etc. Voici ce que dit l’introduction.
On trouve chez Wittgenstein l’idée selon laquelle le langage est essentiellement social, et également l’idée apparemment contradictoire selon laquelle il serait théoriquement possible d’imaginer qu’un Robinson Crusoé depuis l’enfance pourrait employer pour lui-même une sorte de système linguistique. Comme, dit-il, les échecs, conçus pour être joués à deux, mais qu’on peut dans certains cas limites utiliser pour jouer seul à quelque chose qui, finalement, n’est plus vraiment une partie d’échecs, mais conserve un air de famille avec le jeu du même nom.
La poésie est un cas limite du langage. Pas un langage privé, mais certainement un langage privatisé jusqu’à l’intime, qui n’est pas une communication, mais une expérience de l’auteur sur laquelle le lecteur a droit de passage.
Tous ces textes sont autobiographiques, écrits depuis 1995 à raison d’un ou deux par an et présentés dans l’ordre chronologique. Cinquante-deux courts textes en trente ans. J’ai vécu ce qu’ils expriment ou j’ai eu l’expérience de les écrire et vous pouvez faire l’expérience de les lire, sentir ces mots flotter en vous et se mêler à ce que vous êtes. Certains vous traverseront sans laisser de trace, d’autres toucheront un nerf, une cellule, un souvenir, mais ce sera votre expérience, pas un partage de la mienne. C’est aussi pourquoi vous pouvez les relire sans fin : l’expérience de poésie est toujours renouvelée, il n’y a pas d’énigme et encore moins de révélation. La poésie est vraie comme un dessin, une musique ; c’est une vérité par ostension, dont la définition se sifflote.
La poésie moderne est une littérature privée. Elle l’était par principe, elle l’est aussi devenue socialement : plus personne, aujourd’hui, ne lit de poésie que les écoliers et les poètes, ou peu s’en faut. En publier semblerait dès lors une contradiction : c’est quelque chose qu’on troque avec quelques amis et il est possible que la poésie, la vieille, vieille poésie, soit de ce point de vue à l’avant-garde de la littérature toute entière. Elle est hors commerce, comme un morceau de charbon brûlé mille fois, qui sert aussi bien à dessiner qu’à réchauffer, qu’on laisse tomber d’une poche et qu’un autre utilisera pour dessiner et se réchauffer, ou que la pluie dissoudra. Ce qui ne serait pas très grave : l’idée de ces infimes particules mêlées à la nature est elle-même une expérience esthétique.
Ce que je produis est hors commerce, mais je le troque : si vous souhaitez obtenir un exemplaire, le plus simple est de me contacter (nicolas.morin@gmail.com). Je ne ferais pas de publication en ligne par ailleurs.