1. headed.reverses.marriages
Câest mon adresse postale : headed.reverses.marriages. Cette semaine un billet de Frederic Filloux dans Monday Notes attire mon attention sur What3words, une startup britannique qui propose une solution au problĂšme de lâadressage. Dans une grande partie du monde, et dans les pays en dĂ©veloppement en particulier, il nâest pas toujours facile dâavoir une adresse, qui soit facilement partageable, publique, unique. Quand vous habitez un bidonville de Monrovia, vous nâavez pas dâadresse, ce qui est un handicap et un obstacle Ă lâamĂ©lioration de vos conditions de vie ou de vos perspectives Ă©conomiques. Difficile de se faire livrer un colis, difficile de faire valoir ses droits face Ă lâadministration. MĂȘme dans les pays dĂ©veloppĂ©s, les problĂšmes dâadressage, qui sont moindres, existent tout de mĂȘme et coĂ»tent : le gars dâUPS qui tourne dans le quartier pendant 30 minutes, câest un coĂ»t.
Les coordonnĂ©es GPS, qui semblent une solution naturelle, posent de nombreux problĂšmes, en particulier parce quâils dĂ©pendent Ă©troitement du rĂ©seau, mais aussi parce quâils sont sujets Ă des erreurs, des 1 confondus avec des 7, des copies hĂątives, etc.âââet aussi parce quâils ne sont pas faciles Ă retenir.
La solution de What3words est magnifique de simplicitĂ© : dĂ©couper la terre entiĂšre en carrĂ©s de 3 m de cĂŽtĂ©, et donner un nom Ă chaque carrĂ© en utilisant une liste close de mots quâon combine par triplets. Jâhabite ainsi à « headed.reverses.marriages » ou, en français, « isolable.rassĂ©rĂ©ner.relater ». Le Centre Pompidou est Ă guitare.astuce.serveur, tandis que la statue de la LibertĂ© est Ă agrippe.ouvroir.rendorme, et ainsi de suite.
La grille est mĂ©canique et arbitraire, et on peut donc donner dâun coup une adresse Ă tout un pays sans passer des mois et des annĂ©es Ă passer dans toutes les allĂ©es, mettre des plaques, des numĂ©ros, et ainsi de suite.
What3Words offre ses services, via des API en particulier, aux Nations Unies, à des entreprises de livraison ou de cartographie, etc. Mais à partir du mois prochain, la Mongolie sera le premier pays au monde à utiliser What3Words pour toutes ses adresses postales en remplacement des numéros et noms de rues.
La simplicitĂ© et lâĂ©lĂ©gance de la solution de What3Words Ă un problĂšme du monde rĂ©el sont tout ce que jâaime dans un beau projet de startup.
2. LTSE
Eric Ries est le fondateur dâun vĂ©ritable mouvement dâentrepreneurs, qui a saisi le monde des startups comme une fiĂšvre ces derniĂšres annĂ©es : le mouvementlean startup. Qui lui-mĂȘme sâappuyait sur les analyses dâun entrepreneur et enseignant de Stanford, Steve Blank. Leur idĂ©e Ă©lĂ©mentaire est quâil faut crĂ©er un Produit Minimum Viable pour pouvoir le mettre le plus rapidement possible dans les mains de clients potentiels pour pouvoir tester, Ă©valuer, corriger et faire une nouvelle version. PlutĂŽt que de travailler longtemps et Ă lâaveugle sur un produit finalisĂ© quâon nâaura pas validĂ© par une confrontation avec le marchĂ©.
Le principe est simple, le faire rĂ©ellement est en fait trĂšs compliquĂ©, et Blank et Ries ont rĂ©digĂ© deux ouvrages, The Startup Ownerâs Manual et The Lean Startup, qui ont vraiment renouvelĂ© la façon de mener des projets de startups.
[Au passage, une digression : Steve Blank fait rĂ©guliĂšrement une trĂšs intĂ©ressante confĂ©rence sur lâhistoire de la Silicon Valley dans les annĂ©es 1940 et 1950âââon peut trouver ça sur YouTube.]
Le livre dâEric Ries est paru en 2011. Dans lâĂ©pilogue, il Ă©voquait les difficultĂ©s des startups Ă travailler sous forme de compagnies « publiques », câest-Ă -dire, dans le vocabulaire amĂ©ricain, « cotĂ©es en bourse », quand Wall Street attend des rĂ©sultats au trimestre. Il faisait la remarque suivante :
« ce quâil faudrait, câest une nouvelle sorte de marchĂ© financier, conçu pour faire le commerce des actions de compagnies organisĂ©es autour dâune vision de long terme ».
Câest un problĂšme de plus en plus criant : Google a crĂ©Ă© des catĂ©gories dâactions diffĂ©rentes pour dĂ©coupler les droits de vote des actions et permettre aux fondateurs de garder leur indĂ©pendance ; Facebook, aprĂšs avoir retardĂ© longtemps son entrĂ©e en bourse, a fait de mĂȘme ; Uber fait tout son possible, y compris prendre des investissements dâun fonds souverain du Moyen-Orient, plutĂŽt que dâentrer en bourseâŠ
En toute modestie, câest une solution Ă ce problĂšme quâEric Ries prĂ©sente cette semaine : il monte une nouvelle startup, qui a pour objectif de crĂ©er un marchĂ© financier entiĂšrement nouveau, concurrent du NASDAQ, le Long-Term Stock Exchange (LTSE). Cette bourse sera soumise Ă toutes les rĂ©glementations fĂ©dĂ©rales habituelles, mais imposera quelques rĂšgles supplĂ©mentaires, qui tournent toutes autour dâune idĂ©e centrale : des incitations Ă penser Ă plus long terme, tant du cĂŽtĂ© des chefs dâentreprises que du cĂŽtĂ© des investisseurs.
Par exemple, les droits de vote en assemblĂ©e des actionnaires varient non pas seulement en fonction du nombre dâactions que vous possĂ©dez, mais aussi en fonction de lâanciennetĂ© de vos actions. Ou encore : il est mis en place une liste dâindicateurs qui lient de façon contraignante la rĂ©munĂ©ration des dirigeants Ă la rĂ©ussite Ă long terme de lâentreprise.
La carriĂšre dâEric Ries et son dernier projet illustrent bien une autre caractĂ©ristique des startups : elles tapent de petits coups sur un gros caillou, le plus gros possible, mĂ©thodiquement et patiemment, et ça finit par cĂ©der⊠Je suis curieux de voir ce quâil adviendra de ce projet particuliĂšrement ambitieux.
3. Antidisciplinaire
Jâai appris un nouveau mot cette semaine : antidisciplinary. Il signale la volontĂ©, dans un contexte universitaire, de travailler non pas seulement de façon pluridisciplinaire (tellement 2005), mais explicitement tout Ă fait en dehors des disciplines universitaires.
Il apparaĂźt dans la dĂ©claration dâintention de Recherche pour promotion au poste de Professor de Joichi Ito, directeur du MIT Media Lab. Il remarque que lâapproche pluridisciplinaire consiste Ă rĂ©unir des chercheurs de disciplines diffĂ©rentes, par exemple en Pharmacologie, Nanotechnologies et Statistiqueâââmais quâils restent chacun, finalement, ancrĂ©s de leur discipline. Ito en appelle Ă un processus tout diffĂ©rent pour permettre aux chercheurs qui veulent opĂ©rer en dehors de toute discipline de faire leur place dans lâinstitution. Non pas des ponts entre les disciplines, mais une capacitĂ© Ă parcourir les vastes prairies herbeuses et inconnues qui sâĂ©tendent entre les territoires disciplinaires.
Il souhaite utiliser en particulier la notion de designer pour avancer. Designer : le mot est devenu si gĂ©nĂ©ral quâil a perdu tout sens prĂ©cis, mais câest justement cette mallĂ©abilitĂ© qui intĂ©resse Joi Ito : il sâagit dâinterroger les contraintes qui sâappliquent sur un systĂšme et de concevoir des projets qui modifieront ces contraintes et agiront sur le systĂšme. Au passage, le document explique, sans hystĂ©rie ni anathĂšme pour une fois, que le systĂšme des publications universitaires est dĂ©passĂ©.
Une proposition dâorientation de recherche vague, mais intĂ©ressante dans ses prĂ©misses. Il est vrai que Joi Ito nâĂ©tait dĂ©jĂ pas un choix naturel pour ĂȘtre directeur dâune composante du MIT : il nâest pas universitaire, il est entrepreneur de startups. Et il est intĂ©ressant de voir que leur dĂ©marche est en train de mordre sur le fonctionnement universitaire (en tout cas dans une institution comme le MIT).
4. ShÄnzhĂšn
Wired UK a mis en ligne 2 petits documentaires de 15 minutes sur ShÄnzhĂšn, la ville chinoise habituellement considĂ©rĂ©e comme la capitale de lâĂ©lectronique.
La ville avait 300.000 habitants dans les annĂ©es 1970, avant que Deng Xiaoping nâen fasse, en 1980, une Zone Economique SpĂ©ciale Ă©conomiquement ouverte sur lâOccident. 35 ans plus tard, il y a plus de 10 millions dâhabitants Ă ShÄnzhĂšn.
Il y a plein de petits dĂ©tails intĂ©ressants dans le reportage, qui montre, dans lâensemble, que la Chine nâest plus le pays des imitations cheaps de produits occidentaux, Ă faible technologie, construits lĂ parce les salaires sont bas. Il y a Ă ShÄnzhĂšn, en Ă©lectronique, des compĂ©tences uniques au monde, qui vous permettent de rĂ©aliser des produits industriels contenant de lâĂ©lectronique (et quel produit ne contient pas dâĂ©lectronique) trĂšs rapidement.
Andrew Huang propose des commentaires vraiment intĂ©ressants tout au long du film. En particulier dans un segment oĂč il Ă©voque le temps long de lâĂ©volution de lâĂ©lectronique, que je me permets de paraphraser.
En 1965 Gordon Moore, un des crĂ©ateurs dâIntel, prĂ©disait que le nombre de composants sur un circuit intĂ©grĂ© Ă©tait multipliĂ© par deux chaque annĂ©e : vous prenez une feuille de papier, vous imprimez en taille de caractĂšre 100, vous nâavez que quelques mots sur la page ; vous passez Ă une taille de caractĂšre 50 ? Vous pouvez mettre plus de mots, plus dâinformation, sur la mĂȘme page de papier. Câest le principe. JusquâĂ avoir des « tailles de caractĂšres », aujourdâhui, qui ne font quâune cinquantaine dâatomes de large. Dans ce contexte, tous les matĂ©riels progressent trĂšs vite et câest un grand « Ă©galiseur » : tous les ordinateurs sont meilleurs dâune annĂ©e sur lâautre, et leur valeur ajoutĂ©e est en grande partie dans ce qui est diffĂ©rent : le logiciel.
Mais aujourdâhui la loi de Moore touche Ă sa fin et les microprocesseurs ne continuent pas de doubler de capacitĂ© chaque annĂ©e. Du coup les petits dĂ©tails du matĂ©riel comptent Ă nouveau beaucoup. Et câest ce que ShÄnzhĂšn sait faire.
Le reportage passe du temps sur une sociĂ©tĂ©, HAX, qui est un « incubateur de hardware ». Un dĂ©rivĂ© des incubateurs de startups logiciels, mais pour le hardware. Le principe est le mĂȘme : vous candidatez pour une « saison » avec un projet orientĂ© sur le matĂ©riel, et si vous ĂȘtes retenu, vous allez passer 4 mois Ă ShÄnzhĂšn oĂč vous serez accompagnĂ©, partiellement financĂ©, suivi, conseillĂ© dans la rĂ©alisation de votre projet jusquâau lancement au bout des 4 mois. En contrepartie, vous devez cĂ©der 6 % Ă 9 % de parts Ă Hax.
Un exemple de startup passĂ© par Hax : TrainerBot, qui met en production un robot « intelligent » pour sâentraĂźner au tennis de table. Leur kickstarter visait 80 000 $ et a rĂ©coltĂ© 130 195 $ au moment oĂč jâĂ©cris. Il reste 27 jours.
5. Lâespace sĂ©mantique des emojis
Dango est une app (Android pour lâinstant, iOS Ă venir) qui est un assistant emoji, câest-Ă -dire que lorsque vous tapez du texte dans Whatsapp, dans le chat Facebook, et cetera, Dango va lire votre texte et vous suggĂ©rer des emojis, des stickers et des gifs. Trop mignon.
Mais en cuisine, ça mouline sec pour pouvoir faire ça : il faut que Dango comprenne votre texte et sĂ©lectionne des emojis appropriĂ©s. Il ne sâagit pas seulement de suggĂ©rer lâemoji « pizza » đ quand vous tapez exactement ce mot, mais de savoir faire la diffĂ©rence entre « Iâm happy » et « Iâm not happy », et aussi rĂ©pondre Ă des messages plus ambigus ou plus dans lâair du temps, comme de proposer lâicĂŽne « chĂšvre » (goatâââđ) quand vous tapez âKanye Westâ.
Le pus intĂ©ressant, câest cet article trĂšs simple que les dĂ©veloppeurs de Dango ont Ă©crit, qui explique le fonctionnement de leur outil, qui utilise un « rĂ©seau neuronal artificiel rĂ©cursif ».
Vous prenez les environ 1700 emojis qui existent et vous les distribuez au hasard dans une grille (vous initialisez votre espace sĂ©mantique). Puis vous donnez à « manger » Ă votre algorithme des centaines de millions de phrases tirĂ©es du web et contenant des emojis, et il repĂšre Ă chaque tour de piste les proximitĂ©s entre certains mots, certaines phrases et certains emojis. Progressivement, il change les coordonnĂ©es des emojis dans la grille et il parvient Ă les regrouper par « familles sĂ©mantiques » : par exemple les diffĂ©rents types de ballons les uns Ă cĂŽtĂ© des autres (đđâŸâœ). Enfin il est « entraĂźnĂ© » et peut commencer Ă faire des suggestions : quand vous tapez une phrase, il lâanalyse, la positionne Ă un point prĂ©cis de sa grille, et vous donne en retour les emojis les plus proches de ce point.
This is pretty cool! đ