Il y a un lien fort, historiquement, entre mĂ©dicaments et boissons alcoolisĂ©es. Les mots qu’on emploie en portent la trace. Pensez au cordial, cette boisson tonique qui stimule le coeur et requinque les hommes Ă©vanouis (les femmes ont droit Ă  des sels).

Dans les Indes noires de Jules Verne, un mĂ©decin essaie “de ranimer l’ingĂ©nieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes de cordial”. D’oĂč la petitesse des verres Ă  cordial : on est censĂ© le consommer Ă  petite dose, comme un mĂ©dicament. C’est aussi le vocabulaire des toniques et des sirops (pour la toux).

Sirop est empruntĂ© au 12e siĂšcle au latin sirupus, qui est une adaptation du terme arabe ĆĄarāb (boisson, ou potion) utilisĂ© dans les ouvrages de mĂ©decine arabes. Shrubb lui est apparentĂ©, venant aussi, mais plus tard, de ĆĄurb, ĆĄarāb, de ĆĄariba : “boire”.

Qu’est-ce qu’un sirop? Une solution de sucre et d’eau, dans laquelle on a fait infuser ou macĂ©rer des substances aromatiques, fruits, herbes (Ă©ventuellement mĂ©dicinales), Ă©pices, etc. Qu’est-ce qu’une liqueur? Un sirop qui utilise un alcool distillĂ© (souvent, historiquement, un brandy, c’est-Ă -dire un vin distillĂ©) comme base d’infusion plutĂŽt que de l’eau.

Qu’est-ce que le shrubb? Une liqueur qui utilise le rhum comme base d’alcool. ApparentĂ© aux rhums arrangĂ©s, parce qu’infusĂ©, et aux liqueurs, parce que sucrĂ©. Il faut faire infuser des Ă©corces sĂ©chĂ©es d’orange, de citron ou de mandarine dans du rhum, avec du sucre et, souvent, des Ă©pices. C’est un punch plus concentrĂ© et sucrĂ©, qui se conserve plus longtemps.

Le Shrubb a Ă©tĂ© incroyablement populaire aux 17e et 18e siĂšcles en AmĂ©rique du Nord, en Angleterre, oĂč on le trouvait sans difficultĂ© dans les pubs, et en France. Benjamin Franklin a sa recette maison, et on trouve nombre de recettes dans les livres de cuisine du 18e. Au 19e siĂšcle, le goĂ»t s’en perd progressivement. Pourtant il est toujours commercialisĂ©. En Angleterre la marque Phillips of Bristol, ville particuliĂšrement liĂ©e Ă  l’histoire des Antilles et de la traite nĂ©griĂšre, vend toujours un shrubb sur l’Ă©tiquette duquel est indiquĂ© Old English Alcoholic Cordial. Ca requinque vous dis-je. Sur le marchĂ© français ClĂ©ment vend un shrubb crĂ©ole, liqueur d’orange. Son intĂ©rĂȘt par rapport Ă  d’autres liqueurs d’orange (le triple sec ou le Cointreau par exemple) est d’apporter la vaste palette de nuances d’un rhum agricole.

Il est devenu rare, pourtant, de le boire seul, il sert aujourd’hui plutĂŽt d’ingrĂ©dient dans des cocktails. Ce qui est, quand on y pense, un peu curieux : on utilise un cocktail comme ingrĂ©dient de cocktail. Mais ça fonctionne trĂšs bien : le shrubb apporte un goĂ»t Ă©picĂ© et, avec son profil d’agrume, renforce un cocktail qui aurait dĂ©jĂ  ces Ă©lĂ©ments, jus de citron ou de citron vert par exemple; il peut aussi bien renforcer et Ă©quilibrer un cocktail Ă  base d’un rhum au profil diffĂ©rent (cubain ou jamaĂŻcain, par exemple) que venir faire contrepoint Ă  un alcool diffĂ©rent qui servirait de base au cocktail.

Recette du Rebennack (Chris Hannah, Arnaud’s French 75 Bar Ă  New Orleans)

  • 45 ml de rye whisky
  • 25 ml d’Amaro Averna ou un autre amer italien
  • 15 ml de Shrubb ClĂ©ment ou de Shrubb JM
  • 2 traits de bitters. De la marque Peychaud si vous voulez respecter l’origine Louisianaise de la recette : Antoine AmĂ©dĂ©e Peychaud, apothicaire crĂ©ole de Saint-Domingue (HaĂŻti) venu s’installer Ă  la Nouvelle OrlĂ©ans en 1795. L’histoire du rhum, c’est l’histoire de l’AmĂ©rique toute entiĂšre…

MĂ©langer avec de la glace, servir on the rocks, dĂ©corĂ© d’une pelure d’orange.