Jâinsistais lors dâun Ă©pisode prĂ©cĂ©dent, sur le fait quâon peut produire du rhum dans le monde entier si on utilise de la mĂ©lasse. Mais il y a une chose que vous perdez Ă ne pas produire Ă partir de canne : le terroir.
Dans le monde des spiritueux, la notion de terroir nâest pas populaire : lâopinion commune tient que tout est dans la distillation, qui est un processus si radical quâil ne reste rien de la matiĂšre premiĂšre. Mark Reynier est dâune autre opinion et lâacceptation de la notion de terroir dans les spiritueux est sa croisade depuis presque 40 ans.
Câest logique si on considĂšre quâil a appris son mĂ©tier dans le monde du vin. En particulier il est associĂ© Ă la renaissance, dans les annĂ©es 1980, du Bourgogne : une viticulture plus « scientifique », mais aussi moins industrielle et plus attachĂ©e au terroir, dont il se fait le promoteur au Royaume Uni. Ă la fin des annĂ©es 1980, Reynier commence Ă sâintĂ©resser au whisky. Ă lâĂ©poque le Whisky Single Malt est encore une raretĂ© et le marchĂ© est dominĂ© par les blends industriels faits Ă partir dâorge tout-venant, souvent importĂ© dâEurope de lâEst. Il lui faut presque 20 ans pour trouver une opportunitĂ©, mais en 2000 Reynier rachĂšte la distillerie Bruichladdich sur lâĂźle dâIslay Ă lâouest de lâĂcosse. Son idĂ©e est assez simple : faire du whisky comme on fait un Grand Cru de Bourgogne, en commençant par la parcelle. Il travaille donc exclusivement avec de lâorge rĂ©coltĂ©e en Ăcosse et adopte une dĂ©marche scientifique : dâabord des alcools issus dâune seule parcelle chacun, avant de travailler Ă des mĂ©langes entre parcelles et, par tĂątonnement et composition, arriver Ă un whisky exprimant le terroir local dâoĂč provient lâorge utilisĂ©e.
Câest un succĂšs et en 2012, le groupe RĂ©my Cointreau rachĂšte Bruichladdich, qui est la premiĂšre marque quâils achĂštent dans le secteur du Single Malt. Reynier a Ă©tĂ© un peu forcĂ© Ă vendre par ses associĂ©s. QuâĂ cela ne tienne, il renouvelle la dĂ©marche en rachetant une autre distillerie : Waterford en Ireland. Mais en parallĂšle du whisky, il a lâidĂ©e de faire la mĂȘme chose avec du rhum. AprĂšs avoir cherchĂ© assez longtemps et aprĂšs bien des pĂ©ripĂ©ties entrepreneuriales (monter un business dans la CaraĂŻbe, câest toute une affaireâŠ), il sâinstalle finalement Ă Grenade, au sud de lâarc antillais. OĂč il ne se fait plus de rhum (si ce nâest une petite distillerie locale), et oĂč il ne se fait quasiment plus de canne non plus.
Il part de zéro pour créer sa marque de rhum : Renegade.
Il commence par sĂ©lectionner des types de cannes, car Ă la diffĂ©rence de lâorge, trĂšs homogĂ©nĂ©isĂ©e, il existe une grande variĂ©tĂ© dâespĂšces de cannes Ă sucre, qui ont toutes leurs particularitĂ©s. Il se passe plusieurs annĂ©es entre la plantation initiale (2016) et la premiĂšre distillation. Il faut que la canne pousse⊠il faut aussi construire une nouvelle distillerie, Ă©cologique et Ă la pointe de la technologie. Câest elle, au bord de la mer, que vous voyez sur la photographie qui accompagne cette lettre.
Enfin en 2021 Renegade commercialise une premiÚre série de rhums : un par parcelle de canne. Et dans quelques années des cuvées vieillies, composées comme des Grands Crus, sortiront.
Reynier, qui semble porter une attention particuliĂšre aux dĂ©tails, a fait faire par les designers irlandais de TrueOutput un packaging et un modĂšle de bouteille particuliĂšrement rĂ©ussis pour sa collection. Les couleurs sont vives et reflĂštent lâĂ©clectisme des couleurs des maisons de la rĂ©gion, mais la typographie et la forme de la bouteille sont dâune sobriĂ©tĂ© qui empĂȘche le design dâĂȘtre kitsch, au contraire de beaucoup de bouteilles de rhum malheureusement.
Jâai achetĂ© une premiĂšre bouteille qui vient de la ferme Pearls, qui cultive une canne de variĂ©tĂ© Yellow Lady sur des parcelles proches de la distillerie, Ă lâest de lâĂźle. Lâodeur est remarquable, forte, ça sent lâhuile dâengrenage et la terre, mais aussi les Ă©pices et, derriĂšre, qui perce, une odeur dâagrumes. Au goĂ»t, du poivre, de lâherbe sĂšche, des fruits frais. đčâââââ