L’histoire du rhum est faite de mensonges, de légendes, de politique et de capitalisme : c’est une histoire très américaine.
Le Cuba Libre n’a aucun rapport avec la rĂ©volution castriste, bien entendu, mais avec les annĂ©es 1898-1900, l’invasion amĂ©ricaine, la fin de la colonisation espagnole et le dĂ©but des importations de Coca-Cola dans l’Ă®le. Dans la mĂŞme veine, on a nommĂ© d’après Hemingway, après son installation Ă Cuba, des cocktails qu’il n’a probablement jamais consommĂ©s; la star du muet Mary Pickford, de passage pour un tournage pendant la prohibition, a aussi eu son cocktail personnel. La marque de rhum la plus vendue au monde, BacardĂ, a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e Ă Cuba dans les annĂ©es 1860… mais s’est exilĂ©e Ă Puerto Rico après la rĂ©volution castriste, a son siège aux Bermudes et des usines Ă Puerto Rico, au Mexique et en Inde. Le rhum cubain aujourd’hui, c’est plutĂ´t Havana Club, mais la marque est dĂ©tenue Ă 50 % par le français Pernod-Ricard. Et cetera : le rhum est une industrie.
L’île de la Dominique se voit à l’œil nu depuis la côte nord de la Martinique. La seule distillerie de l’île, Macoucherie, est installée le long de la rivière du même nom, sur la côte ouest de l’île. Il se fait sur le même site de la canne à sucre depuis les années 1760, initialement du fait de Français venus de Guadeloupe juste au Nord. Depuis 1943, la famille Shillingford en est propriétaire. C’est minuscule, il doit y avoir une vingtaine d’employés, les infrastructures sont un peu décrépies et la production de leur rhum agricole (à base de canne, donc, pas de mélasse) est très, très old school : la canne est broyée par une roue à aubes, probablement une des dernières en activité dans la région, qu’alimente un aqueduc ; un four à bois est utilisé pour chauffer l’alambic ; si vous ramenez votre bouteille vide, on prend la consigne. Le rhum Macoucherie est distribué localement, et quasiment impossible à se procurer à l’étranger.
Bref, le rhum, c’est BacardĂ et Mary Pickford, une histoire industrielle… mais aussi, encore, souvent, une production et une culture locales. Si on boit du BacardĂ Ă Washington ou du Havana Club Ă Berlin, chaque Ă®le caribĂ©enne a jusqu’à aujourd’hui prĂ©servĂ© sa marque fĂ©tiche. Ă€ Puerto Rico oĂą est installĂ©e la principale usine de rhum BacardĂ, on boit en fait plutĂ´t du Don Q. Ă€ Marie-Galante, vous avez plus de chance de trouver une bouteille de Bielle qu’une bouteille de BacardĂ. C’est Mount Gay ou Doorly’s Ă la Barbade, Barbancourt Ă HaĂŻti, Wray & Nephew Ă la JamaĂŻque et, dans une toute petite Ă®le comme la Dominique, un rhum Macoucherie servi dans une timbale en plastique.
Recette du cocktail Mary Pickford (annĂ©es 1920) – 60 ml de rhum lĂ©gèrement âgĂ©, par exemple un Havana Club 3 ans – 45 ml de jus d’ananas, le moins sucrĂ© possible – un filet (5 ml) de liqueur de maraschino ou de kirsch (bref, une liqueur de cerise) – un filet (5 ml) de sirop de grenadine Mettez tous les ingrĂ©dients dans un shaker avec de la glace. Secouez. Versez dans une coupe Ă©vasĂ©e en filtrant la glace.Il est de coutume de poser sur le verre un pic avec une cerise.