Il est difficile de parler de l’origine du rhum sans parler des Juifs NĂ©erlandais d’origine portugaise du milieu du 17e siècle.
Comme Baruch Spinoza, qui n’a malheureusement rien Ă voir avec le rhum. RĂ©fugiĂ©s aux Pays-Bas Ă la fin du 15e siècle, les Juifs d’origine portugaise s’insèrent dans la vie Ă©conomique locale. Or les NĂ©erlandais sont, aux XVe et XVIe siècle, Ă la pointe de la production d’alcools, considĂ©rĂ©s aussi comme des mĂ©dicaments, infusĂ©s d’herbes diverses. Pensez, en France, Ă la Chartreuse, dont la recette originale date aussi de la première moitiĂ© du 17e. Aux Pays-Bas, l’alcool Ă©quivalent est fait avec des baies de genièvres et deviendra le gin. Pour rĂ©aliser ce proto-gin, les NĂ©erlandais perfectionnent alambics et techniques de distillation.
En 1630 la Compagnie nĂ©erlandaise des Indes occidentales dĂ©cide de prendre possession de la rĂ©gion brĂ©silienne de Pernambouc, propriĂ©tĂ© Espagnole et principale rĂ©gion de production sucrière du commerce atlantique d’alors. La communautĂ© juive nĂ©erlandaise participe Ă l’exploitation du sucre dans la nouvelle colonie : il y a une synagogue Ă Recife dès 1636. Mais la main mise des NĂ©erlandais sur la rĂ©gion est fragile et dès le dĂ©but des annĂ©es 1640 ils cèdent progressivement du terrain aux Portugais (dĂ©sormais indĂ©pendants de l’Espagne), jusqu’Ă devoir quitter entièrement la rĂ©gion en 1654.
On fait dĂ©jĂ avant 1654 de l’alcool Ă base de canne Ă sucre dans les Antilles, par fermentation pour produire une sorte de bière, et il y a quelques signes dans les documents d’Ă©poque d’un dĂ©but d’activitĂ© de distillation. Les textes anglophones parlent de Kill-Divil que les Français transforment en Guildive, les textes francophones parlent aussi d’eau-de-vie de canne. Ce vocabulaire encore instable est le signe d’une rĂ©alitĂ© elle-mĂŞme nouvelle et incertaine. Le terme Rum viendra finalement de Rumbullion, un mot du Devonshire signifiant “un grand tumulte”, qui peut avoir Ă©tĂ© adoptĂ© par certains des colons originaires de cette rĂ©gion et installĂ©s Ă la Barbade. Bref, il se fait Ă la fin des annĂ©es 1640, ici et lĂ , une eau de vie de canne artisanale, probablement en petites quantitĂ©s. Mais ce n’est pas encore une authentique production de rhum.
Quand la Compagnie nĂ©erlandaise des Indes occidentales est expulsĂ©e du BrĂ©sil, elle cherche Ă rĂ©orienter son activitĂ© : elle propose le service de ses bateaux aux colons Anglais et Français des Antilles, dont la production sucrière commence Ă prendre de l’ampleur mais qui ne bĂ©nĂ©ficient pas de capacitĂ©s de transport suffisantes. Par ailleurs plusieurs groupes de Juifs nĂ©erlandais expulsĂ©s du Pernambouc s’installent, en petit nombre, Ă la Barbade, Ă la Martinique et Ă la Guadeloupe. Ils y apportent les innovations techniques auxquelles ils ont travaillĂ© au BrĂ©sil en matière de traitement de la canne, de production sucrière, et de distillerie.
En Martinique en 1654, le gouverneur Du Parquet autorise ainsi 250 juifs nĂ©erlandais Ă s’installer. La famille Da Costa d’Andrade, en particulier, joue un rĂ´le important. Elle plante, par exemple, le premier plan de cacao de l’Ă®le, ayant empruntĂ© plante et recette aux Indiens de l’Amazone. A la Barbade, ce sont aussi quelques familles juives venant du BrĂ©sil qui amĂ©liorent d’un coup la qualitĂ© du rhum produit sur place, et le traitement du sucre en gĂ©nĂ©ral. C’est dans ces annĂ©es 1650 et dans ces deux Ă®les, Martinique et Barbade, qu’est rĂ©ellement “inventĂ©” le rhum.
Le Code Noir Ă©dictĂ© par Louis XIV en 1685 inclut aussi une mesure d’expulsion des juifs : Benjamin da Costa d’Andrade et sa famille sont spoliĂ©s et expulsĂ©s de la Martinique, comme tout le reste de la communautĂ© juive. Ils se rĂ©fugient sur l’Ă®le nĂ©erlandaise de Curaçao, oĂą un autre marchand brĂ©silien de Recife, Isaac Da Costa, s’Ă©tait installĂ© dans les annĂ©es 1650. Benjamin da Costa est de retour en Europe, Ă Amsterdam, une dizaine d’annĂ©es plus tard.
En rĂ©sumĂ© : le rhum est un cousin du gin par la branche juive nĂ©erlandaise et quelqu’un devrait, en hommage, crĂ©er une cuvĂ©e BDC 1654. CQFD.