1. L’industrie technologique n’existe pas

Je ne suis pas un grand fan de l’usage du terme GAFA pour désigner les Google, Amazon, Facebook, Apple de ce monde. Ce sont de très grandes entreprises, qui ont un pouvoir certain sur le monde tel qu’il est, cela ne fait pas de doute. Ce sont aussi 4 entreprises américaines. Il y a le cas particulier de la France, où le terme est souvent utilisé dans un mélange, un peu indigeste à mon goût, d’anticapitalisme, d’antiaméricanisme et de nationalisme étatique. Mais même ailleurs, où le terme n’est pas nécessairement utilisé avec ces connotations, je ne suis pas toujours sûr qu’il soit très utile. Du moins : s’il est utile pour désigner un ennemi, il n’est pas toujours utile pour comprendre la situation.

Ces entreprises ont des stratégies, des objectifs, des fonctionnements, des intérêts différents. Apple, en particulier, est assez éloigné des trois autres : Apple fait d’abord et avant tout du matériel, et pourrait être demain en concurrence avec Ford ou Renault ; Amazon est d’abord et avant tout un marchand, et est déjà aujourd’hui en concurrence avec tous ceux qui font du commerce de biens, de Walmart à Carrefour en passant par le libraire du coin.

Je pense que d’une certaine façon cette terminologie nous dessert en ce qu’elle nous empêche de proposer des réponses adaptées à chacune des menaces précises (et réelles) que peut représenter chacune de ces entreprises — et leurs semblables — pour nos sociétés.

Anil Dash va plus loin cette semaine dans un article très intéressant : l’industrie technologique n’existe pas. Il pense que le terme d’industries technologiques est daté : s’il était pertinent il y a 20 ans, il ne l’est plus maintenant que la technologie est réellement partout. Uber est-elle une « entreprise technologique » quand sa filiale Xchange fait des prêts usuriers à ses chauffeurs pour qu’ils achètent leur voiture ? Amazon est-elle une entreprise technologique quand elle produit des séries TV réalisées par Woody Allen ?

L’usage monolithique du terme nous empêche de réfléchir à des solutions adaptées à chaque problème concret. Pour régler un problème complexe, il faut le découper en problèmes plus petits, et ce vocabulaire des GAFA et de l’Industrie technologique nous empêche de le faire.

2. Pas de pub? Pas de pub.

Vous connaissez The Wirecutter ? C’est un site qui teste du matériel : sacs, voitures, casques audio, ordinateurs, etc.

Le fondateur de Wirecutter, Brian Lam, avait travaillé chez Gizmodo, qui fait la même chose, et gagne ses revenus par la publicité sur le site. La conséquence pour Gizmodo et ses semblables, c’est qu’ils sont poussés à publier énormément : il faut des quantités invraisemblables de nouveaux contenus, chaque jour, pour générer du clic et de la pub.

L’idée de Brian Lam, c’est de faire un site sans publicité, qui publie assez peu. Une page sur « les meilleurs écouteurs intra-auriculaires à moins de 100$ » est écrite, on y teste quelques produits et en recommande un. C’est une page longue et détaillée, et périodiquement mise à jour. D’où viennent les revenus ? Des liens d’affiliés vers Amazon : si vous achetez le produit sur Amazon en venant de Wirecutter, le site touche une commission.

Wirecutter n’a pas d’investisseurs. Et ils ne sont ni à San Francisco ni à New York, mais à Honolulu.

Wirecutter vient d’être racheté pour 30 millions de $ par le NYTimes. Matt Haughey explique bien pourquoi c’est une excellente nouvelle : parce que Wirecutter a prouvé qu’on pouvait produire en ligne un contenu de qualité sans dépendre de la pub. Ce qui peut intéresser n’importe quel quotidien en ligne.

3. Design automobile

Je me souviens d’un temps où l’automobile était la discipline reine du design. La Citroën DS, plus près de nous la Twingo… Je n’ai pas le sentiment que c’est le cas aujourd’hui. Les extérieurs se ressemblent tous, et les intérieurs… sont une catastrophe. Et les choses ne s’arrangent pas maintenant que les constructeurs cherchent à intégrer des écrans dans leurs tableaux de bord, pour contrôler l’autoradio, prendre un appel téléphonique, régler la climatisation. Le designer Geoff Teehan avait fait en 2014 une sorte de worst-off des interfaces automobiles. Ça n’a pas beaucoup changé depuis, mais ça pourrait changer à l’avenir.

Google propose une version automobile d’Android, Android Auto et Apple propose Apple Car Play. Reste à voir ces systèmes installés dans des voitures, et à voir des applications spécifiquement faites pour exploiter ces systèmes.

Adhithya Kumar propose une série de 3 articles (1, 2, 3) et fait des propositions concrètes pour une meilleure expérience utilisateur dans les voitures. C’est vraiment très bien fait, argumenté, et rempli d’exemples de ce que pourrait être une interface automobile intelligemment conçue.

Par exemple, quand votre téléphone se connecte à la voiture, il bascule automatiquement en « mode conduite » : les notifications se mettent en sommeil pour ne pas perturber votre conduite, un certain nombre d’applications se « grisent » pour ne garder que les applications utiles en voiture, comme la carte, la musique, le téléphone proprement dit, etc.

Il imagine aussi un système proactif, c’est-à-dire un système capable d’utiliser le contexte pour vous proposer les actions les plus appropriées. Par exemple, vous montez dans votre voiture devant chez vous à 7 h 30, il suggère que peut-être vous allez au travail ? Oui ? Il vous signale qu’il y a un bouchon sur la route habituelle, et vous suggère une route alternative. Vous montez dans votre voiture devant chez vous un dimanche à 10 h du matin, il ne vous suggère pas la route du travail.

À voir, en parallèle avec la galerie des horreurs proposée par Geoff Teehan. Il y a même une vidéo de proof of concept.

4. Less is more design

Je me souviens d’un temps où le designer web était avant tout un expert de Photoshop. Il y faisait ses maquettes avec un rendu réaliste, au « pixel près ». C’était d’ailleurs aussi l’époque du design skeuomorphiste, où l’icône d’une application de prise de notes ressemblait à un bloc-notes au papier jaune, les premières pages artistiquement arrachées. Toujours détesté ça. Je suis de l’école sans fioriture : la forme suit la fonction, l’ornement est un crime, le minimalisme réalise l’essence du goût et de la fonction, etc.

Cette mode est passée, Dieu merci. Remplacée par un design « plat », qui a lui aussi ses excès, bien sûr, mais est au moins un peu plus sobre.

Ce qui est intéressant, c’est que ce mouvement vers plus de simplicité s’est aussi accompagné d’un changement d’outils. Ça a été très rapide : Photoshop est de moins en moins utilisé. Beaucoup de designers préfèrent sketchapp, dont l’interface est beaucoup plus simple. Et apparaît maintenant une nouvelle vague d’outils qui remplissent deux fonctions qui manquaient.

D’une part, passer d’un logiciel localement installé à un logiciel en ligne : cette possibilité existait déjà pour des logiciels classiques comme les suites office, elle existe maintenant aussi pour des logiciels professionnels relativement complexes comme les logiciels de design graphique. Le design est un peu moins proche de la photo qui est, pour le web, son origine principale, il est plus « simple », mais par contre il est incroyablement mieux organisé : rapide, itératif, collaboratif.

D’autre part, une autre gamme de logiciels apparaissent qui visent à rendre réaliste, dès la phase du design (en amont du code, donc), l’interaction des applications mobiles.. Des logiciels qui simulent le dynamisme des interfaces (la petite animation du « cœur » de twitter quand on le touche du bout du doigt), et insèrent les maquettes statiques dans le flux de l’application : les animations internes à chaque écran, les transitions entre écrans, etc.

Le dernier logiciel de ce genre à sortir sur le marché, et le plus impressionnant, est http://origami.design/

Vous pouvez importer vos dessins réalisés dans sketchapp, et en quelques clics, les enchaîner, leur ajouter des animations, etc. Vous avez ainsi une maquette qui est bien plus qu’une succession d’écran, c’est un authentique prototype, fonctionnel.

Reste à la coder, bien sûr, mais on a à l’œuvre en ce moment, pour le design web et applications, un processus très similaire à ce qu’on a pu voir pour d’autres secteurs, comme le film par exemple : les outils deviennent de plus en plus simples à utiliser (Photoshop est une usine à gaz dont on n’utilise jamais que 20 % des fonctionnalités), de moins en moins onéreux (Photoshop coûte un bras), plus segmentés, mais plus faciles à faire communiquer les uns avec les autres.

Je suis curieux de voir l’impact que ça aura sur le design d’application, mais en attendant, allez voir la petite vidéo promo d’Origami.design, c’est assez impressionnant.

5. Les 7 clés d’internet

Le Domain Name System (ou DNS) est la colonne vertébrale d’internet : c’est le système qui permet de transformer un nom de domaine, par exemple fr.wikipedia.org, en une adresse IP, par exemple 123.190.22.69. Votre fournisseur d’accès internet va poser la question à un serveur gérant les .org, qui va en chercher un autre connaissant wikipedia.org, qui va en chercher un sachant où se trouve le fr.wikipedia.org.

C’est un système hiérarchique, avec délégation de responsabilités. Tout en haut de la pyramide il y a la « racine », qui délègue à d’autres serveurs « de confiance » la responsabilité de gérer .com, .fr, .org, etc.

La notion de confiance est fondamentale, car qui contrôle le DNS contrôle tout internet : si je tape nicolasmorin.com, celui qui gère le .com peut décider de ne pas donner mon adresse IP en retour — mon site est injoignable. Il peut aussi décider de me diriger vers une mauvaise adresse IP de son choix.

Au sommet de cette pyramide, la confiance est évidemment encore plus cruciale : celui qui contrôle la racine pourrait faire ce que je viens de décrire pour toutes les extensions de domaine. Il a donc régulièrement une sorte de cérémonie permettant de valider les codes donnant accès à la racine. Un article de Business Insider explique comment ça marche. Il y a 7 clés physiques confiées à 7 personnes. Qui a chacune une copie. 14 clés en tout. Régulièrement, il y a des « cérémonies de signature » où au moins 3 titulaires de clés doivent être présents. Leur clé ouvre un coffre-fort, qui contient une carte magnétique avec un code. Etc. : la procédure est complexe et très sécurisée.

La petite vidéo ci-dessous explique aussi la procédure, et la donne à voir matériellement.

Mais on peut dire que la façon dont la confiance est gérée pour cet outil central qu’est le DNS illustre encore une fois à quel point internet n’est pas « dans les nuages » : c’est une opération très physique et concrète.