1. Ménage dans l’App Store

C’était le blabla annuel d’Apple cette semaine. Nouvel iPhone. Plus de prise jack. Des écouteurs Bluetooth. Meuh…

Les smartphones sont maintenant bien installés, et ne gêneront plus l’excitation de jadis — ni, d’ailleurs, les marges de croissance. Entre-temps Apple est devenu l’une des plus grandes entreprises au monde. Et si l’avenir n’est pas au smartphone, mais à une catégorie entièrement nouvelle, il n’est pas raisonnable d’attendre de la plus grosse entreprise mondiale, la plus « installée », que ce soit elle qui découvre cet entièrement nouveau.

Du coup je trouve plus intéressantes les annonces de détails. En l’espèce, les changements dans l’App Store iTunes. C’est aussi sur ces petits changements que s’est arrêté le podcast Under The Radar : je me permets de résumer ici leur discussion en ajoutant quelques commentaires personnels.

Je me concentrerai seulement sur l’annonce par Apple d’un nettoyage de l’App Store. Jusqu’à présent, tant que le développeur continue de payer son ticket annuel de développeur (env. 100 $), une app mise en ligne reste en ligne, même si elle n’a pas bougée depuis 3 ans, même si elle est incompatible avec les nouvelles versions d’iOS. Désormais, il faudra faire évoluer son application pour qu’elle reste en ligne. Une inactivité prolongée sur le code, et vous disparaissez de l’App Store.

C’est le nettoyage de printemps. Pourquoi était-il si nécessaire ? Parce que la recherche dans l’App Store est nulle. Trouver une app est une expérience utilisateur désastreuse : des milliers de résultats dont on a du mal à comprendre la cohérence ou la pertinence, avec les quelques pépites qui vous intéressent cachées en page 22. Apple règle une partie de son problème sur le dos des développeurs : on élimine les cellules mortes pour faciliter la recherche. Reste maintenant à Apple à améliorer sa partie : un moteur de recherche de meilleure qualité.

L’autre aspect implicite dans ce changement, c’est de rendre palpable et évident une autre réalité du développement d’applications (ou de sites web, d’ailleurs) moderne : on ne peut pas imaginer développer une fois et laisser vivre. Il faut développer, certes, et chaque année réinvestir dans les développements pour faire évoluer le produit.

D’une certaine façon on ne devrait pas utiliser les métaphores architecturales pour le développement logiciel : ce n’est pas un bâtiment qu’on construit et qu’on doit ensuite simplement entretenir. C’est une plante, qui demande un soin constant. Et ce changement de métaphore est compliqué à assimiler pour les entreprises ou les organisations, qui ont encore dans l’énorme majorité des cas tendance à considérer le développement comme un projet, avec début, milieu, fin et, au mieux, maintenance. Plutôt que comme un effort continu, étroitement imbriqué dans le tissu de l’organisation.

Avec cette politique, Apple va faire disparaître d’un coup un gros paquet d’apps, dont un bon nombre qui viendra d’entreprises et d’organisations qui avaient sous-traité et n’y ont plus touché depuis 18 mois. Il est possible qu’il y ait quelques surprises…

2. Raconter des histoires — vidéos

Internet est devenu mobile ces dernières années, et demeure marginalement affaire de grand écran. Par la même occasion, il s’est transformé d’un médium centré sur le texte en un médium centré sur la vidéo. Ça m’a été rappelé par une interview de David Mendels, le patron de Brightcove. Brightcove héberge sur ses serveurs les vidéos qui apparaissent dans un article sur le NYTimes ou LeMonde.fr, propose de la gestion de droits à l’international, des statistiques autour des vidéos, insère les 10 secondes de pub avant votre vidéo et redistribue les revenus qui correspondent, etc.

David Mendels cite la statistique suivante : la diffusion sur le web de la finale du League of Legends Championship (une partie de jeu vidéo commentée comme un match de sport — la catégorie est souvent baptisée e-sports) a été regardée par un plus grand nombre de spectateurs que les finales des championnats américains de baseball et de basketball combinées.

En parallèle, il y a un raccourcissement des vidéos. Buzzfeed, la startup New-Yorkaise reine du « clickbait », du magazine cheap en ligne et, aussi, de la publicité, a créé il y a quelques mois une nouvelle « catégorie » dans leur site : Tasty. Il s’agit de vidéos de recettes de cuisine en une minute. Elles sont incroyablement économiques à produire, il s’agit pour l’essentiel d’une caméra qui filme à la verticale les mains de la personne qui fait la recette, le tout accéléré en x5 ou x10 avec quelques textes incrustés pour indiquer ingrédients et quantités, pas de voiceover, juste un peu de musique par dessus. Exemple dans la vidéo ci-dessous. Selon le podcast du site The Information, la catégorie Tasty rapporte déjà presque autant d’argent que le site Buzzfeed en général.

Tout cela est assez loin de moi, d’une part du fait de mon grand internet-âge, et d’autre part, c’est lié, du fait de ma culture avant tout livresque, mais il est certain qu’internet, né de son rapport central au texte, est aujourd’hui, d’abord et avant tout, pour l’énorme majorité de ses habitants, un monde de vidéos.

3. Raconter des histoires — texte

Et pourtant on voit une longue (longue, longue) liste de startups qui, les unes après les autres, tentent de réinventer le livre ou, plus généralement, la « narration textuelle » en ligne. Deux nouveaux exemples cette semaine.

Hardbound fait de petits livres documentaires sur un peu tous les sujets, spécifiquement pour l’iPhone, avec un volume non négligeable d’animations et, vous l’aviez deviné, de mini-vidéos.

C’est assez proche de ce que j’avais essayé moi-même de faire il y a 3 ans maintenant, à l’époque pour l’iPad. Il est toujours intéressant de voir les différentes itérations, avec d’infimes ajustements, variations, etc. que les uns et les autres font autour de la même idée : faire un livre d’abord conçu pour le numérique.

Plus intéressant, parce que c’est une idée que je n’avais pas vu jusqu’ici, Phone Stories, fait par Popup Magazine.

Un dimanche sur deux, ils publient une histoire très courte (3 ou 4 minutes) liée à un moment de votre vie : quand vous faites du café, quand vous êtes dans une file d’attente, etc.

L’auteur est différent à chaque fois. Le dernier numéro, « Quand vous vous lavez les mains », est écrit par Ed Young, un journaliste scientifique, excellent vulgarisateur, qui a sorti ce mois-ci un livre sur les microbes dans notre corps (I Contain Multitudes). Le premier numéro, « Quand vous vous habillez », parlait des vêtements très spécifiques utilisés par les Snipers dans l’armée.

La petite astuce, ici, est qu’il faut appeler un numéro de téléphone pour avoir l’histoire : l’auteur vous la lit à haute voix.

C’est une expérience très intéressante, ponctuelle, qui joue avec les codes du livre, de l’essai, de la radio et du podcast.

4. Faire des listes

Eric Boam est un homme selon mon cœur : il fait depuis toujours des listes, et en particulier des listes en rapport avec la musique, les albums de l’année, les albums classés par ordre de préférence, etc.

En 2015, il a décidé de passer à un autre niveau : suivre sa consommation musicale dans le détail. Chaque morceau de musique écouté est entré au registre, non seulement quand c’est lui qui l’écoute volontairement, sur Spotify pour l’essentiel, mais également quand il est simplement récepteur passif d’un morceau : c’est le cas de la musique qu’il entend pendant qu’il fait ses courses au supermarché, ou de la musique qu’il entend dans un film par exemple.

Son premier billet explique simplement comment il s’y est pris : en utilisant Spotify, Shazzam, et un ou deux autres outils qui tiennent sur son portable, ainsi qu’un immense tableur Google Drive.

Le second billet donne un aperçu du résultat : 12 669 chansons. Et quelques leçons, qui finalement vont au-delà de la musique proprement dite.

  1. La musique est constamment présente, et rythme sa journée au point qu’on peut, juste avec ses données musicales, voir le découpage de ses jours : quand il dort, quand il se couche tard ; on voit que le travail collectif de type réunions est plutôt le matin et le travail plus personnel, concentré (avec casque sur les oreilles), plutôt l’après-midi ; etc.
  2. l’habitude de faire des listes elle-même change sa façon de consommer de la musique : en fin d’année, il a tendance à réécouter les morceaux de début d’année parce qu’il pense au bilan de son année, et aux classements qu’il affectionne de produire (albums préférés, etc.)
  3. un changement de travail modifie sa façon d’écouter de la musique (plus ou moins de réunions, etc.)
  4. il subit la musique de son fils de 4 ans
  5. La musique est géographiquement partout : chez lui, au bureau, dans les transports, dans les lieux publics. Et comme ses écoutes sont géolocalisées, on peut facilement faire une carte pour voir les lieux de sa vie : travail, domicile, déplacements professionnels dans d’autres villes. Cela prouve à mes yeux que ces listes sont sous-jacentes pour beaucoup d’entre nous : le téléphone est l’outil de sa musique, et le téléphone fait comme une doublure de données attachée au tissu de sa vie. Ceux qui disent que nous n’avons plus de vie privée le disent le plus souvent de façon cynique et intéressée, ou au contraire avec dégoût, dans un rejet de la modernité. Ça ne veut pas dire que c’est entièrement faux. Mais la petite expérience d’Eric Boam laisse deviner qu’on aussi s’approprier ce nouvel état de fait, et en faire un composant conscient de sa propre existence.

5. Collection de procès : objet #2

Je parlais la semaine dernière du procès, aux États-Unis, d’une mamie qui a dégommé un drone de loisir au fusil de chasse. Je crois que je devrais commencer une collection des meilleurs « procès internet », une sorte de Cabinet d’Amateur ou de liste perecquienne des meilleures collisions entre internet et les lois de notre quotidien.

Car j’ai trouvé un autre procès cette semaine qui m’a bien plu.

Le journal en ligne The Local Autriche a cette pépite : une jeune femme de 18 ans a porté plainte contre ses parents parce qu’ils avaient partagé des centaines de photos d’elle sur Facebook, où ils ont 700 « amis ». Des photos sur son pot, à poil sur le tapis du salon à 3 ans, etc. jusqu’à 18 ans.

Le procès aura lieu en novembre et il semble qu’elle ait des chances raisonnables de l’emporter. Précisons qu’elle leur a demandé de les enlever et qu’ils ont refusé.

Pour rappel aux parents qui me lisent, la loi française est très sévère à cet égard, et le droit à l’image très protégé : publier des photos sans le consentement d’une personne peut valoir jusqu’à 1 an de prison et 45 000 € d’amende. Il n’est pas sûr que le fait que la personne en question soit votre enfant change quoi que ce soit à l’affaire.

Personnellement, je suis impatient que cette génération accède à l’âge adulte et commence, par exemple, à candidater à des élections quelconques. Imaginez que Sarkozy, par exemple, ou Paul Bismuth, ai laissé en ligne, depuis son plus jeune âge, une abondante documentation sur ses moindres faits et gestes ? En vérité je vous le dis : il n’y a pas eu de meilleure époque pour être romancier. Ou satiriste.